AGRÉGATS (physico-chimie)

AGRÉGATS (physico-chimie)
AGRÉGATS (physico-chimie)

Les agrégats résultent de l’assemblage de plusieurs éléments de base. La spécificité des agrégats, dans le cas où ces éléments sont des molécules ou des atomes, réside en ce que leurs propriétés physico-chimiques à l’équilibre dépendent de la nature des éléments de base mais aussi de leur nombre N. Lorsque celui-ci dépasse une certaine valeur, de l’ordre de quelques centaines, les propriétés rejoignent celles du solide massif. Le domaine des agrégats cède alors la place à celui de la physique des solides.

Si les éléments de base sont des colloïdes (petites sphères de quelques nanomètres de diamètre en suspension dans un fluide), les agrégats, ou flocs, formés de façon irréversible, peuvent contenir jusqu’à plus de 10 000 éléments de base. Dans certains cas, leur fragile structure filamenteuse peut être décrite au moyen de la notion de fractale. Dans les deux cas, les agrégats font l’objet d’une recherche très active aux multiples applications.

Agrégats atomiques et moléculaires

En laboratoire, les agrégats sont produits de diverses manières: condensation d’un gaz par détente, impact d’ions ou d’un faisceau laser sur une surface, évaporation thermique. Ensuite, ils peuvent être déposés sur un support, mais le plus souvent ils sont entraînés par un flux gazeux (ou accélérés, s’ils sont chargés) et dirigés vers une enceinte où on les étudie «en vol». Parmi les nombreuses méthodes physiques utilisées, la spectrométrie de masse est la plus importante. Elle permet en effet de classer les agrégats selon le nombre N d’atomes ou de molécules qu’ils contiennent. Ainsi, les spectres de masses, pour certaines valeurs de N appelées «nombres magiques», font apparaître que les agrégats sont plus abondants (fig. 1) et donc particulièrement stables. Cette information est utilisée pour la détermination de leur structure.

Structure atomique

Si N est petit (inférieur à 10), la recherche des structures stables utilise les méthodes de calcul de la chimie quantique. On trouve souvent des configurations linéaires ou planes tant que N est inférieur ou égal à 4 et polytétraédriques au-delà.

Pour de plus grandes valeurs de N, le seul cas bien connu est celui où les forces interatomiques sont centrales et additives: c’est le cas des liaisons de Van der Waals entre molécules sphériques telles que le méthane, l’azote ou les gaz rares. En grossissant, les agrégats de ces molécules subissent par deux fois un bouleversement complet d’ordre local: jusqu’à N = 50, ils possèdent une structure amorphe constituée d’icosaèdres – polyèdres réguliers présentant 20 faces équilatérales identiques (fig. 2) – qui s’interpénètrent; ils adoptent ensuite la structure de l’icosaèdre à couches multiples (fig. 3) et, enfin, lorsque N est supérieur à 1 000, ils rejoignent la structure cristalline du solide massif. Ces structures sont remarquablement symétriques et possèdent des axes d’ordre 5 (symétrie inexistante dans l’ordre cristallin). Elles ont aussi été observées dans les agrégats de certains métaux tels que l’or, l’argent ou le nickel.

Lorsque les forces de liaisons sont différentes (liaison hydrogène, covalente, métallique, etc.), les connaissances sont sommaires sur la structure stable des agrégats. Cependant, certains modèles ont été proposés: soit ils minimisent le nombre de liaisons coupées, soit ils résultent d’une simulation numérique (fig. 4 et 5).

Structure électronique des agrégats métalliques

Dans un agrégat métallique suffisamment petit, les électrons de conduction ne peuvent plus sauter d’un état quantique à l’autre car la différence d’énergie entre deux états successifs (qui varie comme 1/N) devient plus grande que l’énergie thermique. Par conséquent, lorsque la valence du métal considéré est impaire, le dernier état occupé (niveau de Fermi) comprend un seul électron quand N est impair et deux quand N est pair. Cela conditionne à la fois le comportement magnétique et la stabilité de ces agrégats métalliques. Ainsi, les agrégats de métaux alcalins ne sont magnétiques que si N est impair. En outre, ces agrégats étant plus stables lorsque N est pair, les spectres de masse ont souvent une allure en dents de scie, comme celui de l’or montré en figure 1.

Les propriétés des agrégats atomiques dépendent étroitement du nombre d’éléments qu’ils contiennent: il n’est pas étonnant que certaines d’entre elles se retrouvent en physique nucléaire, où ce nombre est un paramètre important (structure en couche, nombres magiques, etc.), et même en biologie, où l’exemple le plus frappant est fourni par la structure icosaèdrique des virus.

Agrégats colloïdaux

Les colloïdes sont des billes solides, électriquement chargées, en suspension dans un liquide. À cause de leurs charges de surface, ces sphères se repoussent, ce qui confère une remarquable stabilité à la suspension. Cependant, lorsqu’on introduit des ions de charge opposée dans la solution, ceux-ci viennent se regrouper autour des colloïdes pour former un écran électrostatique. Cela permet de restaurer, entre les édifices neutres ainsi constitués, les attractions de courte portée de Van der Waals, et le phénomène d’agrégation se produit. Tant qu’elles restent éloignées les unes des autres, les billes diffusent, elles se déplacent dans la solution selon un mouvement brownien. Mais, si deux sphères s’approchent suffisamment, elles subissent l’attraction de Van der Waals, et elles se soudent pour former un petit agencement rigide qui diffuse lui aussi et qui peut rencontrer d’autres colloïdes ou d’autres ensembles. Ainsi des agrégats se forment et grossissent. Ils peuvent contenir jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de billes et atteindre des tailles de l’ordre de quelques dixièmes de millimètres. Cependant, lorsqu’ils dépassent cette taille, leur poids n’est plus négligeable et ils commencent à précipiter. Généralement, lors de leur dépôt, ils se brisent et se tassent. Des mécanismes similaires se produisent en atmosphère gazeuse avec les aérosols (formation de la fumée). Des bases théoriques pour décrire la cinétique de ce mécanisme ont été introduites par von Smoluchowski en 1916.

Structure fractale des agrégats colloïdaux

L’analyse numérique des photos de microscopie électronique a permis de découvrir que les agrégats de colloïdes ou d’aérosols, résultant du mécanisme décrit ci-dessus, étaient des structures fractales, selon la terminologie introduite par le mathématicien Mandelbrot en 1974. Les billes ne se disposent ni en ligne ni en boule compacte, mais selon une structure intermédiaire ramifiée et désordonnée, dictée par le hasard des collages. Cette structure se caractérise par un nombre, la dimension fractale, compris entre 1 (dimension d’une ligne) et 3 (dimension d’une boule). La nature fractale des agrégats colloïdaux a été confirmée par de nombreuses expériences comme la diffusion des neutrons, de la lumière ou des rayons X. Cette description permet de mieux interpréter leurs propriétés physiques (propriétés mécaniques, stabilité, etc.) ainsi que celles des solutions qui les contiennent (conductivité, rhéologie, etc.).

Modèles d’agrégation

Pour comprendre la structure fractale des agrégats colloïdaux, les théoriciens ont proposé des modèles capables de simuler les phénomènes d’agrégation. Bien que de conception très simple, ces modèles se prêtent mal aux calculs analytiques et ce sont surtout des calculs numériques à l’ordinateur qui ont permis de les étudier. Le premier fut proposé en 1981 par les physiciens américains T. Witten et L. Sander: des particules browniennes viennent se coller, une à une, sur un agrégat qui pousse à partir d’un germe central. Cela permet d’expliquer la formation des agrégats métalliques qu’on obtient à la cathode par électrolyse d’un sel métallique (fig. 6). Des équivalences formelles, entre les équations de la diffusion et celles régissant d’autres phénomènes physiques, permettent à ce modèle d’acquérir un champ d’application beaucoup plus vaste qui dépasse celui des agrégats, comme la forme et le mécanisme de croissance des éclairs, les lignes de fracture des matériaux sous contrainte ou l’interface obtenue lorsqu’on force un liquide à pénétrer dans un autre plus visqueux que lui. Un autre modèle, où des agrégats de toutes tailles diffusent et se collent entre eux, a été introduit en 1983, aux États-Unis et en France. Il permet de décrire quantitativement la structure des agrégats colloïdaux. De nombreuses extensions et améliorations ont été proposées. L’ancienne approche de von Smoluchowski a été reprise, et un lien étroit a pu être établi entre la cinétique de l’agrégation et la structure des agrégats.

La recherche sur les agrégats colloïdaux se rattache à l’étude des formes irrégulières, obtenues par croissance irréversible, qu’on retrouve dans de nombreux domaines: physico-chimie (formation des gels), biologie (croissance des tumeurs), météorologie (formation des nuages), géologie (morphologie des montagnes), etc.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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